Les années Giscard d'Estaing
Lorsque Giscard est élu en 1974, la majorité de droite est composée de 183 députés gaullistes (UDR, Union pour la Défense de la République) et 54 députés issus des Républicains Indépendants de Giscard. Autrement dit, pour gouverner, Giscard doit s'appuyer sur les Gaullistes. Ne disposant pas d'un grand parti, il va donc chercher à « giscardiser » l'UDR et en faire son propre parti. D'ailleurs, Giscard a utilisé une nouvelle formule, celle de « majorité présidentielle » pour tenter de clarifier la situation politique du moment. En clair, selon lui, puisque l'élection la plus importante est celle du président, celui-ci dispose d'une « majorité présidentielle », c'est-à-dire que tous les partis de droite soutiennent, de fait, le président.
Giscard n'a jamais réussi à faire de l'UDR gaulliste son propre parti. Il aurait fallu le faire lentement et de manière consensuelle. Or, la pratique du pouvoir de Giscard est toute autre : il est impatient, il veut aller vite et il a très peu ménagé les gaullistes. Il était convaincu que cette giscardisation se ferait rapidement mais sa volonté affichée de changer la politique, manière indirecte de critiquer De Gaulle et Pompidou, a renforcé la méfiance voire l'hostilité des Gaullistes à son égard. Non seulement il n'est pas parvenu à giscardiser l'UDR, mais un événement inattendu se produit en décembre 1974. Jacques Chirac, étant premier ministre, il devait être solidaire de Giscard. De fait, il n'était pas non plus à l'abri d'une fronde des députés gaullistes contre sa politique. C'est donc pour s'assurer du soutien des députés gaullistes que Jacques Chirac parvient, à la surprise générale, à s'emparer de la direction de l'UDR. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, un homme politique est à la fois premier ministre et secrétaire général du parti majoritaire. Au départ, Giscard pensait que ça pourrait le servir, mais très vite, il comprend que Chirac s'est emparé de l'UDR pour se mettre à son propre compte.
Dès la constitution du gouvernement, Giscard entend montrer à son premier ministre que c'est bien lui qui dirige. Rarement au cours de la Ve République, un président s'est montré aussi présent et a laissé aussi peu d'espace à son premier ministre. Giscard s'occupe de tous les dossiers, c'est lui qui tranche les questions de politique économique. Par ailleurs, Giscard occupe toute la scène médiatique : entre 1974 et 1976, le président a tenu 4 grandes conférences de presse et s'est adressé directement aux Français plus d'une dizaine de fois à la télévision. Omniprésent dans les médias, Giscard multiplie les effets et donne une image inhabituelle d'un président. Ainsi, il dîne une fois par mois dans des familles modestes, il souhaite se montrer simple et proche du peuple quitte même à inviter les éboueurs du quartier de l'Elysée. Cette apparente simplicité contrastait avec ces prédécesseurs jugés lointains et lui permettait d'être sans cesse à la une de la presse, au détriment d'un premier ministre, Jacques Chirac, qui peinait à exister.
Giscard et Chirac avaient une approche différente de la politique. Chirac est un pure gaulliste, pour lui, la politique est un combat, une lutte alors que Giscard cherche sans cesse le consensus, il souhaite selon son expression favorite, « décrisper » la vie politique, notamment en recevant régulièrement à l'Elysée les représentants de l'opposition. Mais surtout, Giscard mène une politique social-démocrate, il gouverne au centre pensant que sa politique lui amènerait des voix du centre gauche alors que Jacques Chirac est un homme de droite. Finalement, les gaullistes qui avaient combattu contre la candidature de Chaban-Delmas en 1974 se sont rendus compte que Giscard avait mené cette politique centriste qu'ils redoutaient. Pour ses raisons politiques, mais aussi à cause de sa volonté de laisser peu d'espace et d'initiative à Jacques Chirac, la rupture entre les deux hommes apparaît de plus en plus inévitable. L'échec aux élections cantonales de mars 1976 n'a fait qu'accélérer cette rupture. Alors que Giscard n'avait pas l'intention de se séparer de Chirac, celui-ci présente sa démission en juillet 1976. Pour la première fois de l'histoire de la Ve République, un premier ministre démissionnait de lui-même deux ans seulement après son entrée à Matignon.